A l’heure où la réglementation sur le périmètre de l’autoconsommation collective est en train d’évoluer, TECSOL nous fait le plaisir de publier un article sur l’histoire et l’action de ACOPREV.
Reportage / ACOPREV : la ruralité en pointe pour l’extension du périmètre de l’autoconsommation collective
Le projet d’arrêté sur l’extension du périmètre de l’autoconsommation collective (ACC) à 20 kilomètres de rayon et 3 MW de puissance présenté mi avril au CSE par le gouvernement en a surpris plus d’un. Même les plus assidus au sein des cabinets ministériels et notamment celui du ministère de la transition écologique et solidaire. Pas étonnant, les défenseurs du projet sont implantés pour la plupart aux confins des montagnes et de la ruralité française. Loin des sphères de décisions parisiennes ! Reportage auprès des membres de l’ACOPREV, l’une de ces associations rurales qui a fait bouger les choses à la capitale afin d’obtenir un périmètre étendu pour l’ACC.
Il est une vallée, le Val De Quint au Nord de la Drôme, empreinte de profonde ruralité, située au pied du massif du Vercors, haut lieu de résistance, qui fait les caractères bien trempés. Là s’est créé en 2016 l’ACOPREV, acronyme d’Association Communale de Production d’Energies Vertes, qui vise à promouvoir la production d’électricité photovoltaïque dans un cadre intercommunal. Cette production a pour priorité d’être auto-consommée collectivement ou éventuellement raccordée au réseau. Les surplus de production ont vocation à être convertis en hydrogène mobilité. Cette association dispose même du statut de Centrales Villageoises, la Centrale Villageoise du Val De Quint.
Un smart grid rural
Comme souvent, tout n’est qu’histoire d’hommes. Alain Vincent, le maire de Saint Julien en Quint avec ses deux prédécesseurs, Olivier Girard actuel premier adjoint et Gérard Dellinger sont des technophiles férus d’innovation. En leur temps, ils se sont battus pour faire venir la fibre optique sur leur territoire. En 2016, ils décident ensemble de mettre en place au sein de leur vallée un smart grid rural. « Nous sommes en bout de ligne, à la périphérie du réseau. Cela occasionne des coupures, mais, surtout, une maintenance difficile, d’autant que les lignes aériennes sont soumises à des vents violents. Produire nous-même l’énergie nécessaire à la consommation du village offrirait donc une solution simple afin de sécuriser des fonctions importantes, comme, par exemple, les chambres froides des éleveurs bovins du territoire », soulignait Gérard Dellinger à l’époque. Et de chercher des solutions concrètes pour une Transition Energétique réussie ! Ils prendront alors leur bâton de pèlerin pour se rendre finalement pas très loin, à La Motte-Fanjas, chez McPhy, une start-up drômoise innovante du secteur de l’énergie, développant des solutions de stockage d’énergie en utilisant l’hydrogène comme vecteur énergétique. Stocker pour limiter les pannes réseau telle était l’idée. De plus l’hydrogène est également un vecteur de mobilité propre. Cette visite a littéralement séduit les édiles, leurs collègues du pays de Diois mais aussi les citoyens très attirés par la démarche. Près de 120 citoyens (sur 750) ont ainsi adhéré à l’ACOPREV. La greffe était prise…
Plus solidaire, l’ACC s’est imposée dans les esprits
Reste que la solution hydrogène s’envisage vraiment sur le moyen, long terme. Les responsables d’ACOPREV voulaient aussi passer à l’action sur le court terme. C’est là qu’intervient Hubert Remillieux (photo), ingénieur en bureau d’études. Habitant à Nyons, il a participé en voisin intrigué à la genèse des projets de Smart Grid rural. Il va s’impliquer peu à peu davantage encore en organisant les foisonnantes idées des politiques en projets et notamment celui des circuits-courts électriques. « Le solaire avec obligation d’achat n’allait pas assez loin au regard de la philosophie portée par les maires. L’autoconsommation collective s’est imposée plus logiquement dans les esprits pour son côté plus solidaire et communautaire » indique Hubert Remillieux. A ce même moment, l’agence régionale Auvergne Rhône Alpes Énergie Environnement lançait le projet Pegasus qui visait à définir les conditions économiques, techniques et administratives permettant d’envisager le développement de “microgrids” correspondant au modèle d’autoconsommation collective auquel on peut appliquer du stockage et du pilotage de sources et de charges. Il s’agissait ainsi de répondre à plusieurs enjeux : augmentation des énergies renouvelables, utilisation rationnelle de l’électricité, nouveaux modèles économiques sur l’achat / vente d’électricité, nouveaux services rendus au réseau, etc. A partir du suivi de 7 sites pilotes, le projet avait pour mission de mettre en place un ensemble d’outils devant servir de support au développement de l’autoconsommation collective.
Couvrir 50% du Val De Quint avec l’ACC
ACOPREV fera partie de la sélection de Pegasus. S’en sont suivi des études sur l’autoconsommation collective avec le soutien du pôle de compétitivité Tenerrdis mais aussi un parrainage de la CNR. Le projet pilote commencera par une phase de mesure d’un an sur un périmètre d’une trentaine de bâtiments représentant une consommation de 190 MWh annuels. « Cela nous a permis de dimensionner la taille du dispositif et de quantifier l’énergie solaire nécessaire pour assurer, dans un premier temps, 20% de la consommation locale » explique Hubert Remillieux. Entre-temps, ACOPREV devient lauréat du club de la Transition Energétique 2019 pour la transversalité de son projet de smart grid rural, entre ACC, production et stockage d’hydrogène vert ainsi que mobilité hydrogène. ACOPREV a même organisé dans le Val De Quint deux journées dédiées à cette thématique de mobilité hydrogène en accueillant plus de deux cents personnes. Au vu de l’influence croissante prise par l’association, Hubert Remillieux s’est alors davantage impliqué dans son développement. Et les projets d’ACC de changer d’échelle. « Pour conforter nos ambitions solaires et afin de porter les investissements, nous avons créé la SAS qui compte 88 sociétaires et 90 000 euros de capital. Le projet pilote est trop étriqué et sans trop d’intérêt car limité à quarante consommateurs. Notre nouvel objectif est aujourd’hui de produire 2000 MWh par an, soit autant que la consommation du Val De Quint avec un volet expérimental sur le stockage et un autre sur l’ACC élargie qui couvrirait 50% de la consommation de la zone complète du Val De Quint. Le tout pour un investissement qui se situerait autour des 3 millions d’euros et une puissance actée à 1,6 MWc pour les six communes » précise Hubert Remillieux.
« Nous n’avons rien lâché »
Oui mais voilà, l’ACC étendue ne relevait alors que de l’utopie de bon sens. Qu’à cela ne tienne. Avec l’aide de la députée de la troisième circonscription de la Drôme Célia de Lavergne, très pointue sur les questions d’énergie, ACOPREV lance ses actions de lobbying. La députée co-rédigera ainsi l’amendement à la loi PACTE sur ce sujet de l’extension du périmètre de l’ACC, et comme motivation à l’amendement, seront citées les actions menées par l’ACOPREV. Avec une idée force : passer de deux kilomètres de diamètre à 20 kilomètres. Au passage de la loi PACTE, l’amendement est retenu, mais le décret d’application ne prend pas en compte le 20km rural. « Nous n’avons pas été entendu » regrette Hubert Remillieux. Mais persévérance et insistance font l’âme des gens du Val De Quint. Les élus déposent alors un dossier à France Expérimentation, un dispositif conçu pour les projets innovants dont le développement est rendu impossible par certaines dispositions réglementaires voire législatives. « Nous voulions lever l’obstacle pour nous donner les moyens de nos ambitions. Nous n’avons rien lâché. Nous avons mis en avant la valorisation au sens large du projet qui concerne la fourniture d’électricité, la flexibilité des prix, le service au réseau, l’ACC mais aussi des actifs ressources de secours en cas de panne réseau » insiste l’ingénieur. A force de persuasion et d’entregent issu de la ruralité mais aussi des territoires de montagne, un conseiller du ministère s’est trouvé intéressé par cette initiative citoyenne et a acté la modification du décret pour en intégrer une dimension rurale. Du pied du Vercors aux confins des vallées alpines ou pyrénéennes, des élus de terrain ont donc poussé pour faire prévaloir ce périmètre étendu au nom de l’égalité des territoires face au progrès des nouvelles technologies.