Un bel article sur l’activité et l’innovation ACOPREV paru en avril dans le journal national Le Figaro.

Ces villages qui profitent de leur autonomie énergétique.

Dans le sillage des grandes villes, les petites communes partent à la conquête de leur souveraineté énergétique.

Valorisation des déchets, du bois, du vent… Face à la flambée des prix du gaz et de l’électricité, les collectivités s’ingénient à produire leurs propres ressources.

ANGÉLIQUE NÉGRONI

COLLECTIVITÉS Alors qu’un rapport accablant, publié la semaine dernière, accuse nos politiques successives d’avoir provoqué notre perte de souveraineté énergétique, une partie de la solution pourrait-elle provenir des collectivités locales ? Depuis plusieurs années, et même dès le lendemain du premier choc pétrolier de 1974, elles s’affairent et s’ingénient à trouver les moyens de leur autonomie. Communes, départements et régions explorent sur leur territoire toutes les pistes possibles pour exploiter leurs propres ressources et produire de l’énergie. Une quête qui connaît un coup d’accélérateur depuis la guerre en Ukraine.

Avec la flambée des prix de l’énergie et sa répercussion sur les factures d’électricité et de gaz, les élus, plus que jamais, cherchent à s’extraire de l’instabilité tarifaire des marchés nationaux. Comme pour l’alimentation, les maîtres-mots sont désormais « circuit court » et filières vertes. Les grandes agglomérations, qui avaient ouvert la voie à de nouvelles solutions, entraînent désormais dans leur sillage des hordes de petites communes. Il en est ainsi pour les réseaux de chaleur locaux, au nombre de 830 en France. Paris, par exemple, chauffe depuis plusieurs années, à l’instar d’autres villes, des milliers de logements ainsi que tous les hôpitaux de l’AP-HP grâce à la valorisation énergétique des déchets. « La crise énergétique pousse les petites communes à s’y mettre aussi », souligne Gustave Richard de l’Association des petites villes de France (APVF). Avec des ordures ménagères transformées en énergie, ou bien du bois ramassé sur place, des projets fleurissent çà et là pour chauffer écoles et mairies. La chaudière au gaz finit alors à la casse.

« Le chauffage étant le premier poste de consommation d’énergie, on comprend pourquoi les initiatives se multiplient », souligne Nicolas Garnier, délégué général chez Amorce, association de collectivités pour la gestion des déchets, les réseaux de chaleur et la gestion locale de l’énergie. Créée en 1987, cette structure est aux premières loges des efforts fournis par les collectivités pour trouver des solutions. En région parisienne, où le sous-sol abrite de l’eau chaude, plusieurs villes, comme La Courneuve, ont installé des pompes à chaleur géo-thermique. Dunkerque, quant à elle, tire profit de la situation peu enviable de détenir l’un des sites industriels les plus émetteurs de CO2 du pays. Elle récupère la chaleur dite « fatale » d’ArcelorMittal pour chauffer une partie de son territoire. A Toulouse encore, c’est la chaleur émise par les data centers qui est utilisée. « Les collectivités qui deviennent productrices d’énergie la vendent ainsi aux particuliers à tarif maîtrisé. Elles se transforment en véritable mini-Total ! », souligne Nicolas Garnier.

Sur la liste des procédés soutenus par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), on trouve aussi en bonne place le biogaz. Avec les matières organiques provenant des sites agricoles et d’industriels, des collectivités sou-tiennent la production du gaz vert. La filière se développe à grands pas : au 1er janvier dernier, on recensait 1 450 unités de méthanisation en France, soit un bond de 42 % en deux ans. Rien ne se perd, donc, tout se transforme, et toute cette économie qui se consolide peu à peu est vertueuse à plus d’un titre. Outre la baisse des déchets ainsi recyclés, elle crée de l’emploi, assure une autonomie d’énergie aux collectivités et réduit le transport routier, première source d’émissions de CO2.

Saint-Julien-en-Quint, un bourg high-tech pionnier du renouvelable

SANDY PLAS

SAINT-JULIEN-EN-QUINT fait partie de ces communes où l’on ne vient pas par hasard. Pour rejoindre ce petit village de la Drôme, situé à 25 minutes de Die, il faut quitter la D93 et suivre sur 10 kilo-mètres une route sinueuse qui serpente le long du cours d’eau de la Sûre. On entre alors dans le Val de Quint, dont le paysage alterne entre terres agricoles et forêts. Avec ses 160 habitants, Saint-Julien-en-Quint a tous les visages de la ruralité : une petite église en face de la mairie, un bistrot où se rassemblent les habitués et une école communale qui compte 14 élèves et une classe unique. « On est bien ici, regardez comme c’est beau ! », s’enthousiasme Gérard Dellinger, l’ancien maire du village, en pointant du doigt les crêtes du Vercors qui se détachent au loin.

Depuis trois ans, la vie paisible de cette vallée est rythmée par un projet qui détonne dans le paysage local. Le village a l’ambition de développer un microréseau d’électricité en s’appuyant sur l’énergie solaire pour couvrir les besoins de ses habitants. Autorisé dans la loi française depuis 2017, ce système d’autoconsommation collective permet de s’organiser à l’échelle d’une ou plusieurs communes pour produire et consommer sa propre électricité. Avec, à la clé, la possibilité de développer les énergies renouvelables sur le territoire, de fiabiliser le réseau dans des zones situées en bout de ligne et, surtout, de maîtriser la hausse du coût de l’électricité.

À Saint-Julien-en-Quint et dans les cinq communes voisines, une quarantaine d’habitants, d’agriculteurs et de professionnels se partagent aujourd’hui l’électricité produite par les 150 m2 de panneaux photovoltaïques installés sur les toits d’un bâtiment agricole. Alors, dans le village, les habitudes ont changé. « On fait tourner le lave-vaisselle plutôt la journée, quand il y a du soleil, pour profiter de l’autoconsommation », raconte David Vieux. Installée dans le village depuis plusieurs générations, sa famille possède le bâtiment sur lequel ont été installés les panneaux photovoltaïques. Il reçoit désormais deux factures d’électricité : celle d’EDF, pour l’électricité qu’il consomme sur le réseau, en dehors des périodes de production des panneaux solaires et celle d’ACOPREV, la société qui gère l’autoconsommation collective dans le village. Depuis trois ans, il constate « un bond en avant des tarifs EDF », mais une facture d’autoconsommation « qui n’augmente pas » avec des tarifs inférieurs de 20 % au marché réglementé. Au-delà de l’aspect financier, il estime que ce système est un projet porteur de sens : « On consomme de l’énergie produite localement, comme on le fait pour les légumes ou la viande. »

L’électricité provenant des panneaux couvre aujourd’hui environ 20 % des besoins du village. L’objectif, à terme, est de faire grimper ce ratio à 50 % ou 60 %, le reste continuant à être prélevé sur le réseau. « Nous ne sommes pas un village gaulois, le but n’est pas l’autonomie énergétique, précise Gérard Dellinger. Ce qu’on veut, c’est atteindre une certaine résilience sur le territoire, en cas de problème sur le réseau. » Loin des grandes agglomérations et des lignes à haute tension, tous les habitants ont intégré cette idée de vivre « en bout de ligne » et d’être suspendus à un réseau « pas toujours bien entretenu ». « S’il y a une coupure généralisée, on le sait, d’autres seront dépannés avant nous », poursuit l’ancien maire.

À 94 ans, toujours tiré à quatre épingles, cet ingénieur retraité, ancien directeur d’usine dans l’industrie plastique, est une figure du village. Passionné par l’innovation, il est animé par une conviction : les territoires ruraux sont des lieux parfaitement adaptés à l’expérimentation. « Il réside encore dans ces territoires le bon sens et la débrouillardise, ils méritent mieux que d’être délaissés, comme ils le sont aujourd’hui. » A son arrivée à la mairie, en 2001, il fait installer le haut débit grâce à une antenne satellite et reconstruit l’école et la salle communale. Une mue progressive qui permet au village d’attirer des familles « et même de voir naître trois start-up spécialisées dans la vente en ligne et le tourisme ». En 2016, il tombe sur un article consacré à l’entreprise drômoise McPhy, spécialisée dans le domaine de l’hydrogène. Aujourd’hui cotée en Bourse, la société est alors en phase de développement. Une visite de l’entreprise plus tard, il se forge la conviction que l’avenir de son village passera par le développement de l’hydrogène : « On parle surtout de mobilité décarbonée pour les villes. Pourtant, ceux qui se déplacent le plus, ce sont les ruraux, c’est ici qu’il faut agir ! » Mais avant de voir des stations hydrogène s’installer dans le village, « il fallait pouvoir produire de l’électricité ». En 2017, l’Association communale de production d’énergies vertes (Acoprev) voit le jour pour structurer le projet. La même année, le village est choisi comme site-pilote, avec cinq autres communes en Europe, dans le cadre du programme européen Pegasus, portant sur le développement des microréseaux de production d’électricité. Pendant un an, les consommations des habitants sont passées au peigne fin, pour connaître le volume global consommé et les pics de demande. Gérard Dellinger, aux côtés d’Olivier Girard, un autre ancien maire de la commune, et d’Alain Vincent, le maire en place à l’époque, se heurtent alors « aux limites d’une loi pas du tout adaptée aux territoires ruraux ».

Si l’autoconsommation collective a été autorisée en France dès 2015, notamment pour promouvoir le déploiement des énergies renouvelables sur le territoire, elle est en effet limitée à un périmètre d’un kilomètre. Autrement dit, l’électricité produite par des panneaux ne peut être redistribuée qu’à des habitants installés dans ce rayon. « En ville, avec un kilomètre, vous couvrez des milliers de foyers. Ici, dans ce périmètre, vous avez des sangliers, des arbres et quelques habitants », explique avec malice Gérard Dellinger. Le travail de lobbying commence pour faire remonter le sujet jusqu’au ministère de la Transition écologique. Au bout de deux ans de tractations, la mobilisation finit par payer. Un décret autorise désormais tous les projets d’autoconsommation collective à étendre leur périmètre sur 20 kilomètres.

Reste à investir dans des panneaux photovoltaïques et à convaincre les habitants de suivre le projet. Gérard Dellinger concède « quelques questionnements » au départ. Mais une fois les premiers panneaux installés et le système en place, les interrogations des débuts laissent place à une pleine adhésion. Une vingtaine d’habitants, installés à Saint-Julien-en-Quint et dans les communes voisines, quatre agriculteurs, plusieurs mairies, l’école du village et le Bistrot Badin, qui trône à deux pas de l’église, prennent part à l’expérimentation. Contre l’achat d’une ou plusieurs actions de la société Acoprev, vendues 100 euros l’unité, ils peuvent avoir accès à l’électricité produite par les panneaux photovoltaïques, dont l’installation est financée par leurs actions. « Chacun est ensuite facturé au prorata de sa consommation », précise Hubert Rémillieux, sociétaire et chef de projet pour Acoprev. Il en accompagne aujourd’hui le développement, en essayant de lever les freins qui existent encore sur le sujet, pour répondre à la demande des habitants, qui sont actuellement une quinzaine sur liste d’attente : « Aujourd’hui, nous avons deux difficultés. La première, c’est de trouver des bâtiments avec des toits suffisamment grands et à la structure assez solide pour accueillir des panneaux, ce qui concerne peu d’infrastructures agricoles, explique-t-il. La deuxième, c’est la question du raccordement au réseau, qui pose encore des problèmes techniques et de coût. »

Directeur de recherches au CNRS au sein de l’Université GrenobleAlpes, Frédéric Wurtz est spécialiste de la question de l’autoconsommation collective. Malgré les freins qui existent sur le terrain, il voit un potentiel de développement pour ce mode de production, au-delà de la centaine d’initiatives qui existent aujourd’hui en France : « À l’origine, les projets portaient surtout une dimension éthique, avec l’objectif d’être acteur de la transition énergétique. Mais avec l’envolée des prix de l’électricité, l’intérêt pourrait s’accroître pour ces systèmes de production. » Ces microréseaux, qui pourraient être amenés à se développer, témoignent, selon lui, de l’entrée dans une nouvelle ère de la consommation d’énergie : « Historiquement, la France a connu un monopole d’État sur l’électricité jusqu’au début des années 2000, puis on a assisté à l’émergence de nouveaux opérateurs sur le réseau. Depuis 2017, nous sommes entrés dans une nouvelle phase, avec la possibilité d’échanger de l’électricité entre acteurs. »

À Saint-Julien-en-Quint, malgré les difficultés, Gérard Dellinger veut garder le cap. Il rêve depuis longtemps d’une route « entièrement décarbonée », entre Valence et Grenoble, le long de laquelle seraient installées des stations à hydrogène. Il espère désormais un relais des pouvoirs publics, mais regrette que les choses n’aillent pas assez vite : « Il existe encore une frilosité sur ces questions. Quand on innove, il faut savoir mettre un pied dans le vide, sinon on ne peut pas avancer. »

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